The Dark Knight Rises
n’achève pas n’importe quelle trilogie, en effet les films de Nolan ont profondément
marqué les esprits, redorant l’image des
super-héros au cinéma. Il rehausse la qualité des intrigues, la qualité
visuelle et montre que le genre n’est
pas forcément source de films populaires ou de simples blockbusters mais bien
d’une œuvre ambitieuse et complète. Si le film a pour thème l’élévation, comme
le suggère le titre, on n’assiste toutefois pas au bouquet final grandiose que
certains pouvaient attendre. Il faut dire que les précédents films étaient déjà
d’une qualité tout à fait appréciable. La surprise initiale devant cette version
de l’histoire de Batman, qui avait éclos avec Batman Begins et explosé
avec The Dark Knight s’est estompée pour le dernier volet, on repose
ainsi sur les solides bases des deux premiers films, bases qui ne seront pas
trahies.
Beaucoup de critiques se penchent
sur la volonté des scénaristes, trouvant dans The Dark Knight Rises une plus ou moins grande
portée politique, c’est une des questions qui fait le plus débattre. Au delà de
cette interrogation, on peut considérer un motif récurrent dans le
cinéma super-héroïque, et plus particulièrement présent dans ce film : la
lutte d’individus marginaux contre les
autres. (se veulent-ils marginaux ou est-ce la société qui les a
marginalisés ? La vérité se niche probablement dans l’ensemble des deux
hypothèses) Et c’est selon les rencontres que les rôles pourront changer, c’est
ainsi que la jeune voleuse aux oreilles de chat glissera lentement d’un camp
vers un autre. Les personnages sont modelés par leurs souffrances (ce qui est
vivement martelé à propos de Bane), bons ou mauvais, leur but est alors de
trouver une place dans la société. Bruce Wayne s’en était effacé, il a retrouvé
le héros qui était en lui avec Batman, il s’agira de savoir comme équilibrer
cela avec son identité d’homme. Bane voudra diriger ceux qu’ il juge
oppressés, il s’opposera aux gens jugés normaux, défendant les siens, en
quelque sorte la famille qu’il s’est constituée. On se crée toujours par
rapport aux autres, on agit en fonction d’eux, mécanisme que Bruce refuse
d’appliquer au personnage de Batman qui restera une figure impersonnelle, privée
des faiblesses humaines. Si le film peut
abriter des questions politiques, on y voit tout d’abord une lecture sociale.
Le personnage de Bane manque de
charisme, c’est son armée qui nous effraie, ainsi que les conséquences de ses
actes mais lui-même n’égale pas le Joker. Nolan n’a pas tenté de faire de Bane
un grand méchant charismatique, sa voix étrange attise plus notre curiosité que
notre peur. Ce méchant qui hante l’esprit, nous l’avions déjà eu avec The Dark
Knight mais la menace affrontée ici n’en est pas moins terrifiante. Le sol se
dérobe sous les pieds des personnages, Batman est écarté de Gotham City,
l’impuissance fait perdre l’espoir. Les individus sont ici effacés par rapport
aux foules, chacune représentative d’une partie de la société. La future
Catwoman et Robin apparaissent toutefois, ils ne brillent pas encore mais on
croit en eux, on les accepte immédiatement en tant que futurs de Batman.
Hathaway et Gordon Levit sont Catwoman et Robin, cela s’impose rapidement comme
une évidence. Ces deux personnages sont
inclus sans heurt et de manière crédible à la trilogie. Si le plus sombre a été
atteint grâce au Joker dans la trilogie, on réussit ici le pari impossible de placer
les personnages sur l’échiquier de la
société après les avoir fait survivre au pire, la fin s’amorce lentement mais
sûrement nous offrant un achèvement salvateur. Le personnage de Robin, dont le
prénom nous est livré au dernier moment, est celui qui active le plus de
problématiques. La notion de vérité est abordée : est-il toujours bon de
la divulguer ? Les structures qui encadrent la société sont, quant à elles,
appréhendées avec beaucoup de prudence voire de méfiance, structures qui sont
censées servir le bien mais qui peuvent avoir des conséquences néfastes. On
observe un rejet du cadre dans lequel nous évoluons, un besoin de s’en
affranchir et de se montrer indépendant. Cette indépendance est déjà une
indépendance d’esprit qui se déploie chez des héros solitaires. Les personnages
semblent parfois froids, cette caractéristique est à double tranchant, d’une
part un manque d’émotion peut être observé dans ce dernier volet, d’autre part
cela évite de sombrer dans le pathos et maintient le rythme du film. Le
personnage joué par Marion Cotillard révèle quelques tentatives infructueuses
de s’inscrire dans le registre pathétique, c’est un échec. Il est sous-exploité
et ne nous intéresse guère. Ce qui fonctionne c’est cet engrenage froid qui
articule les intrigues chez Nolan, c’est cette volonté implacable des
personnages. Si l'humanité transparaît chez Bruce, c’est toujours par légères
touches, notamment à travers le majordome. La psychologie ne peut dont être
approfondie à l’écran mais on évite la facilité du pathos. (pathos auquel on ne
parvient même pas avec Cotillard) Nolan ne devrait pas essayer de faire un
cinéma autre que celui qu’il maîtrise, avec le réalisateur, rien n’est
superflu. Certaines intrigues ou personnages sont peut-être esquissés mais
jamais maltraités ou maladroitement
effacés, cela prouve une belle maîtrise du scénario et sert le motif
super-héroïque, en effet on met en scène des symboles forts. Bruce Wayne
insiste d’ailleurs sur l’importance d’ancrer dans les esprits le personnage de
Batman en tant que symbole. A ce sujet, le film remplit parfaitement son rôle
mais à film de super-héros, attentes extraordinaires. Le buzz généré par la
sortie du film pourrait être à l’origine d’une déception quant au film, Batman
s’élève mais Batman est peu présent, Bane le grand méchant ne fait pas peur, la
mort de Marion Cotillard est à l’origine de blogs moquant son jeu, le bouquet
final de la trilogie n’en est pas un. L’explication est simple, The Dark
Knight était le film le plus sombre des trois, celui-ci ne pouvait l’être
davantage, il se calque plus sur le modèle de Batman Begins, montrant l’évolution
de personnages. L’épique est présent avec quelques moments forts et jubilatoires,
cet air d’Hans Zimmer incarne à merveille cet esprit, exaltant les valeurs du
super-héros.
L’éclat est donc long à venir,
le film semble être une lente gestation de l’équipe de Batman. On avait eu la
construction de l’homme et du personnage avec Batman Begins, on bâtit
ici la mythologie inhérente au super-héros. C’est pourquoi le rayonnement des
personnages, le déploiement ultime des intrigues ne peuvent surgir qu’à la fin
du film qui est d’ailleurs relativement émouvante. Les quelques dernières
minutes constituent la sublimation de la trilogie, on s’élève, on s’envole, on
frissonne et on sourit. Merci
Christopher Nolan.