vendredi 19 novembre 2010

La jeune fille à la perle, le film

On m'a appris, il y a quelques temps qu'il fallait observer intensément les premières minutes d'un film, parce qu'en général elles comportaient la suite en elle. Comme au théâtre, ces premières scènes ont donc une fonction programmatique. Que peut-on observer au début ? Gagnera -t-on en affirmant qu'on peut tout deviner dans les cinq premières minutes ? Et bien si on prolonge à 6 minutes, cela pourrait marcher !

Le début du film :

Un geste minutieux, mécanique d'une main épluchant des légumes. Serait-ce provenant d'un esprit délicat et sensible l'anticipation de la peinture ? L'héroïne n'a pas besoin d'un pinceau, elle est déjà prédisposée à voir le monde d'un regard particulier, désintéressé et contemplatif. Ainsi faire la cuisine n'est plus une corvée ou une activité des plus triviales, cela correspond, par sa main à une action créative et artistique. Évidemment, on remarque, l'apparition des couleurs avec les oignons, les carottes et les betteraves ou choux. On distingue l'activité de loin, à travers un intelligent jeu de clair-obscur (qu'il aurait été décevant de ne pas mettre en valeur dans un film dont le sujet est la peinture) Enfin, nous distinguons le visage de Griet qui vérifie nos suppositions. Elle dispose avec soin les aliments, comme elle saura le faire pour la chaise devant la fenêtre. Ce personnage a un profond besoin d'harmonie, les objets qui l'entourent, ses paroles ou ses gestes doivent tous être mesurés et en accord avec l'ensemble.

Les lumières sur la ville hollandaise, cette extraordinaire capacité que le soleil a de se rendre présent malgré les nuages est plutôt bien rendue. On comprend pourquoi les peintres hollandais étaient fascinés par la lumière.

Il manque encore, me direz-vous le désir non-exprimé entre le peintre et la jeune fille. Et bien je crois que l'atelier le symbolise. Cette pièce est interdite, inaccessible, fabuleuse. Elle effraie mais elle attire aussi. Personne ne sait ce qui s'y passe, on devine seulement que dans cet espace un autre monde prend vie, un monde que la famille de Vermeer ou les autres servantes ne pourront jamais comprendre. On pourrait généraliser cela à l'atelier du poète, l'atelier de l'écrivain, du scénariste ou du compositeur de musique.  Ce cabinet des merveilles arrive donc à la sixième minute, tous les élements principaux du film sont mis en place. CQFD !!!!

Quelques thèmes ou remarques par-ci par-là...

Musique et silence :

La musique (très joliment composée par Alexandre Desplat) n'en fait pas trop, elle sait se faire discrète et se garde bien de dépasser son rôle : l'accompagnement de l'image. Un juste dosage avec
le silence, c'est réussi, c'est une qualité que j'apprécie tout particulièrement.

Le regard
J'adore le regard de Scarlet Johansson, elle fait passer l'émerveillement devant les toiles, des yeux sincères qui contemplent éblouis d'admiration... Griet a toujours un regard fuyant, elle a toujours peur que ses yeux en rencontrent d'autres mais quand elle observe la nature ou un tableau, elle s'y immerge totalement, sans aucune limite. A cet instant, on peut apercevoir soin âme. C'est probablement pour cela qu'elle préfère garder une distance avec les humains. 
La symbolique des cheveux  :

Ils sont toujours dissimulés, elle ne les montrera pas au boûcher, seul Vermeer les verra. Sur le plan historique le cheveu représente la féminité mais surtout l'intimité, c'est ce qui nous intéresse ici. D'ailleurs Griet reste distante du petit boûcher, la servante croît qu'elle pense à lui mais en réalité elle observe les nuages, tente d'en comprendre le mystère. Elle se sent de plus en plus étrangère à ce monde contingent, comme si elle en était spectatrice. C'est pourquoi elle ne saute pas de joie quand son amant lui propose un travail. Rien ne peut plus être comme avant pour elle, elle voit le monde d'un regard si différent des autres. Griet se méfie d'autrui, elle évite les contacts trop personnels, c'est pourquoi deux mains qui se touchent sont si exceptionnelles. Ca prête à sourire parce que ça semble dépassé dans notre société, deux mains qui se frôlent, c'est drôlement torride !! Mais cela révèle beaucoup sur les rapports humains et sur la personnalité de Griet, elle a compris que chaque détail était important en société, qu'il fallait mesurer chaque geste et qu'on ne devait pas en écarter la symbolique. Cette sensibilité constitue l'intelligence du personnage.
  
  
 La lumière
 
Le film a misé sur la lenteur, ça correspond au sujet alors ce n'est pas forcément une mauvaise chose. (au contraire, ça fait du bien parfois de prendre le temps pour observer sans aucun but ou arrière-pensée. On est tellement habitué à voir défiler les images à la TV ou sur internet qu'on ne prend plus le temps. Voilà pourquoi ce tableau ne m'avait pas encore marquée...) J'ai apprécié le traitement des images (et le silence bien sûr, parce qu'en fait c'est une musique, le silence), des couleurs et de la lumière mais ils auraient pu faire encore mieux en effet l'histoire est recentrée sur la relation de Griet et du peintre. Il a donc été choisi de représenter un court laps de temps. Peut-être les saisons et le soleil auraient pu être encore mieux exploités. (bien qu'après avoir vu le film une deuxième fois j'ai trouvé des subtilités qui ne m'étaient pas apparues)

L'hiver : il s'impose peu à peu et devient le cadre de la passion réprimée, interdite. (passion pour la peinture qui se confond sans qu'on puisse en faire la différence avec le désir entre Griet et Vermeer)

 La société :
-La vilaine fille de Vermeer joue le rôle du losangier qu'on trouve dans les contes du Moyen-Age, en gros le vilain nain qui passe son temps à espionner et à mettre des bâtons dans les roues du héros !

- L'opposition de la société aux valeurs artistiques à travers deux personnages : la femme de Vermeer (quelle condescendance, il est vraiment très facile de la détester !) et Griet.

Contingence du monde face à la simplicité, la beauté extrême de la nature, qui nous fascine.

- Le personnage de la grand-mère : à mon sens elle peut comprendre l'art, bien plus que sa fille mais elle représente la vision cynique du monde, tout doit être rentable, on doit avoir une bonne situation en société, gagner de l'argent et respecter les mœurs de l'époque.

- Assez ironique la bonne qui s'attriste parce que les voisins sont ruinés. En tant que servante, elle pourrait se détacher de ces problèmes, d'autant plus qu'elle s'inquiète pour l'humeur de Madame... Mais l'attachement qu'ont les petites gens pour la bonne société et leurs maîtres est solidement enracinée. On n'est encore qu'au XVII ème siècle...

Vermeer : J'ai beaucoup parlé du personnage de Griet mais peu de Vermeer, il est intrigant, peut-être même effrayant à être toujours tapi dans l'ombre. Ce personnage est complexe et difficile à cerner. Il navigue entre les mondes, il n'aime pas sa femme mais le moins qu'on puisse dire c'est qu'il continue à honorer son mariage ! Il est captivé par Griet mais on nous rappelle l'histoire sordide de son ancien modèle. Quelle vision de l'artiste nous propose le film ? Artiste incompris qui n'a pas sa place dans le monde, homme faible qui ne sait imposer sa propre volonté et qui cède aux caprices de sa femme ou pervers obnubilé par les jeunes servantes qu'il impressionne et utilise comme modèles... La question reste ouverte, je crois que chacun peut se faire sa propre idée. En gardant bien sûr à l'esprit que ça ne représente que le Vermeer fictif, celui réinventé par le livre ou le film... Mais peu importe parce que ce désir partagé par le peintre et la jeune fille, en dehors des sentiments amoureux est avant tout une passion commune pour la peinture. La boîte noire les émerveille tous les deux de la même façon. Cela nous montre que pour être artiste il ne faut pas nécéssairement peindre, être artiste c'est avoir une vision du monde, un regard désintéressé, naïf peut-être. Ainsi, Griet est une artiste, et Vermeer en a conscience. C'est cette compréhension mutuelle  qui rend leur relation touchante, elle est le moteur du film.

la jeune fille à la perle-film

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