lundi 18 avril 2016

De l'usage excessif du format vidéo

La critique culturelle amateure évolue de manière exponentielle, aussi on a pu constater depuis quelques années un puissant engouement pour Youtube et ceux qui se contentaient autrefois d'articles de blogs sont nombreux à expérimenter ces nouveaux formats. Si cette émulation semble stimulante, elle a aussi été chez moi source de frustration et de difficulté d'adaptation à ces nouveaux modes de lecture.
En effet, je peine à comprendre les émissions Youtube qui prennent la forme d'une table ronde, d'une discussion filmée entre différents invités ou d'un rédacteur unique face cam. Le seul intérêt que je constate est affectif : il nous donne l'impression de côtoyer les animateurs et d'appartenir à leur univers, cela fonctionne bien avec le podcast live vidéo de Capture Mag mais on note qu'il porte bien le nom de "podcast" et non d' "émission". S'il n'y a pas besoin de vidéo et que le concept d'une émission se résume à regarder des gens parler, alors autant en faire un podcast et se contenter de l'écoute ? Puis un podcast, ça s'écoute dans les transports, au lit avant de s'endormir, dans son bain, c'est assez pratique et il est reposant de se concentrer sur un flux auditif sans avoir les yeux rivés sur un écran. Pourquoi passer par l'image quand on n'utilise pas d'illustrations spécifiques et d'extraits d’œuvres ? Mieux : pourquoi passer par l'image quand nos analyses et critiques, elles, ne s'appuient pas sur la réalisation ? Il est aisé d'insérer des extraits audios dans un podcast si l'on ne fait que citer des dialogues et que l'on n'a pas besoin de contenu visuel. A contrario, le format vidéo peut être indispensable. Par exemple, certains youtubeurs jeux vidéo ont, par essence, la nécessité de montrer à l'écran des illustrations du gameplay qu'ils évoquent. Finalement, je fais souvent face à la même situation : certains sujets m'intéressent mais je suis en pause au bureau ou bien dans le tramway, ou bien dans mon lit et j'ai envie de lire ou d'écouter mais certainement pas d'ouvrir une vidéo de 15 minutes qui prendra pourtant l'allure d'une discussion informelle... Alors je renonce, tout simplement. Néanmoins, peut-être que ce format de la discussion filmée serait adapté s'il était plus condensé et ne se portait que sur une thématique ? Notre société est phagocytée par les images et le risque serait de les déposséder de leur sens et de les arborer fièrement quand elles ne sont qu'accessoires. Et c'est bien le souci de Youtube...

mercredi 21 janvier 2015

Retrouvez mon analyse de Ray Donovan sur Courte Focale

Après quelques mois loin des analyses séries (vous pouvez toutefois retrouver quelques billets que j'ai signés sur Séries Chéries), la deuxième saison de Ray Donovan m'a donné envie de pousser la réflexion et de m'attarder sur la figure du anti-héros qu'elle présente. Pour la lire, dirigez-vous sur Courte Focale avec qui j'avais déjà collaboré côté cinéma. >> Ray Donovan, the dark knight of L.A


mardi 11 juin 2013

Lost in Translation


[Cette critique contient des spoilers, si l'on peut parler en ces termes en abordant les œuvres de Sofia Coppola...A lire après avoir vu le film.]

Tokyo, mégalopole dynamique  contraste avec la langueur qui se dégage des films de Sofia Coppola,  Lost in Translation est avant tout un espace, c’est l’espace qui fait le film et non l’inverse, le lieu y est alors essentiel. Le film,  tourné avec une équipe semie-japonaise est plutôt personnel puisque la réalisatrice s’inspire de son propre voyage au Japon, il se déploie en une suite d’impressions couchées sur la pellicule à la manière des peintres impressionnistes, de flash éphémères qui vous parviennent de Tokyo : c’est l’esprit de Sofia Coppola qui se révèle à l’écran, ce sont par ces yeux qu’on voit la ville, on s’y promène dans sa peau.
L’espace est empli de passants, non seulement ces inconnus passent vite mais ils parlent dans une langue étrangère. Cela donne d’ailleurs lieu à quelques scènes comiques, taillées sur mesure pour le parfait Bill Murray car son génie ainsi que son inadaptation à la ville nous amusent. Comment ne pas sourire en voyant ce grand acteur isolé au cœur d’un ascenseur, compressé au milieu d’étrangers inexpressifs ?




Même le jet de douche est inadapté, pas assez haut pour lui et l’oblige à se baisser pour que l’eau atteigne sa tête. Charlotte lui fera remarquer plus tard :
«You’re too tall » en coupant l’étiquette de son horrible T-shirt. La mise en abyme du tournage de Lost in Translation avec le tournage de la publicité est assez claire. On imagine que l’acteur a pu se sentir comme son personnage qui, assis sur un fauteuil en cuir ne comprend pas les indications du réalisateur et doute de la traduction qu’on lui en fait, traduction qui est d’ailleurs pour le moins approximative.

Le décalage entre le personnage et son nouvel environnement passe évidemment par la frontière de la langue étrangère qu’il doit affronter. Cette altérité pleine va faire de Tokyo une bulle où se perdent Bob et Charlotte. Ils errent dans la ville avec pour base cet hôtel de luxe où ils traînent sous les couvertures. Le cocooning à son état pur, la nonchalance coppolienne sont à nouveau au rendez-vous, comme c’est agréable de se laisser porter par elle.
Ce film est une petite merveille, il n’a pas l’ampleur de Somewhere mais faire de lui son antécédent serait trop réducteur. On ne peut nier la parenté entre les deux films qui ont des topoï assez semblables. Nous reviendrons plus tard sur le motif aquatique. Le rapport entre les deux personnages est quasi filial (leur différence d’âge est patente, l’un fait profiter l’autre de son expérience) mais on note ici la dimension romantique qui point rapidement. L’absence presque totale de personnage transversal est encore frappante et nous rapproche du huis-clos. Des figurants passent dans notre champ de vision, des personnages haut en couleur, souvent caricaturaux traversent le film mais on ne s’y arrêtent guère, ils font partie du décor en quelque sorte. Les seuls personnages qui ont une valeur réelle dans la vie de Bob et Charlotte ne sont caractérisés que par leur absence, la femme du premier n’est qu’une voix lointaine pour le spectateur tandis que le mari de la seconde se meut en coup de vent qui se dirige de shooting photo en shooting photo, ses passages éphémères à l’écran nous le rendent même antipathiques. Ne se moque-t-il pas de la dimension intellectuelle de Charlotte ?
« Not everybody went to Yale » lui rétorque-t-il d'un air moqueur.
La solitude définit d’entrée de jeu nos deux personnages, c’est pourquoi on pressent dès le début qu’il sera fait récit d’une rencontre. Cette rencontre est éphémère mais régénératrice, constituée par  deux regards perdus qui se trouvent, deux vies insatisfaites qui se rencontrent. Les paroles de l’un font écho à l’autre, imprègnent tout son être. Cette scène où allongés dans un lit, ils se font des confessions est infiniment touchante, si simple et si sincère. Charlotte le dit d’ailleurs : ils se disent des choses qu’on ne dit pas d’habitude, que les gens ne disent pas.

 
Revenons donc sur cette rencontre.
« I didn’t feel anything » dit Charlotte au téléphone après avoir vu des moines dans un temple. « I don’t know who I married » et même pendant ces confidences extrêmement intimes, qui ouvrent sur les failles de son âme on lui demande de patienter. On ne l’écoute pas vraiment, elle parle mais on ne comprend pas. Sa détresse totale n’a aucun répondant, elle a besoin de quelqu’un mais ce besoin ne trouve personne pour le combler. Ce « on » est d’ailleurs indéterminé, qui est à l’autre bout du fil ? On ne le sait pas, cette voix n’est que l’incarnation de toutes les autres voix.
La nuit, son mari ronfle et lui demande de se rendormir. Le personnage nous est dépeint dans une solitude déstabilisante qui est renforcée par un univers étranger, un alphabet inconnu, un métro dont on ne connaît pas le plan. L’errance dans la ville reflète alors son errance dans la vie et plus elle va se promener, plus cet égarement l’emplira et la bouleversera. C’est la rencontre qui la sauvera.
Bob semble si drôle, si inadapté dans ses vêtements, dans cette ville, dans ce rôle d’acteurs pour publicités qu’il attire son attention. Depuis ses larmes au téléphone, elle guettait l’élément qui pourrait la sortir de sa torpeur ou tout simplement de son ennui, de sa routine quotidienne.
Nous attendions cette rencontre qui se préparait, elle prend place lors d’une nuit d’insomnie qui unit Bob et Charlotte.  A l’unisson au Japon, ces deux êtres devaient se rejoindre. Non par destin mais par heureux hasard ou même fatalité. Il se trouve que la même semaine ils se sont sentis perdus dans le même hôtel, insomniaque ils se sont retrouvés dans le même bar.
« Wish I could sleep. » dit Charlotte « Me too » répond-il.
S’ils se retrouvent de cette manière, n’insinuons donc pas qu’il y a eu jeu du destin. Simplement, pendant une nuit voire pendant quelques jours, ces deux être ont vibré à l’unisson et sont devenus parfaitement identiques. Ils ont partagé mêmes sensations, mêmes errances et mêmes regards – celui de Bob, plus âgé étant un peu plus désabusé et moins en quête d’enchantement que celui de Charlotte. Ce qui est évident dans son regard, c’est qu’elle cherche quelque chose, elle ne sait peut-être pas quoi mais elle est en constant état de quête. Le motif de l’eau, présent dans le plus récent Somewhere est aussi présent. L’eau, reflèterait simplement un environnement de bien-être qui nous invite à l’introspection. Cela se manifeste par laisser l’eau de la douche couler sur son visage, faire quelques brasses dans une piscine, contempler les reflets du ciel sur l’eau.... L’eau n’est-elle pas la source de la vie ? Dans cet espace, on tente de remonter à notre propre origine, notre essence. Si l’on pousse plus loin la réflexion, la baignoire ne deviendrait-elle pas le symbole utérin ?
Charlotte observe tout d’un air curieux, la nature, les gens, les objets, les couloirs, son sourire a d'ailleurs retenu l'attention de Bob dans l'ascenseur, la première fois qu'il l'a aperçue.  Cependant,  elle ne peut pénétrer dans ce monde qui n’est pas sien, en observatrice, elle passe. Charlotte, c’est la passante. Aucune communication n’est possible, c’est bien là le cœur du film. Même si les Japonais sont ridicules dans la salle de jeu elle les observe d’un air bienveillant, sans jugement, presque envieuse. Le seul échange qui naît dans ce film est donc celui qui lie Charlotte et Bob. Il prend de l'ampleur lors d'une nuit de soirées et de courses dans la ville. Charlotte traîne Bob au milieu de délires improbables, il la fait rire en l'emmenant à l'hôpital pour soigner sa cheville. Ensemble, ils glissent de la vie dans leur parenthèse japonaise.



Plus tard, Bob a voulu partager avec sa femme cette expérience palpitante (dans le sens où ça l’a fait revivre, où son coeur s’est remis à battre) mais comme l’interlocutrice de Charlotte, elle ne l’écoute pas, n’est pas là pour lui. Peut-on la blâmer ? Là n’est tout simplement pas la question, il se trouve qu’à ce moment précis il n’a pas pu exprimer ce qui rayonnait de lui. Il n’a pas pu rayonner et pourtant c’était un Evènement après qu'il se soit senti aussi longtemps éteint. Il nous semble alors naturel qu’ils regardent ensemble des films la nuit. Quitte à être seul, insomniaque et traîner devant la télévision...autant le faire à deux. Et soudain, peut-être ont-ils réalisé qu'ils ne l'étaient plus vraiment.

On pourrait voir dans cette aventure nippone la beauté suprême d’un instant hors du temps, d’une union ineffable. Elle ne peut être réelle, elle ne peut se réaliser hors du Japon mais ce baiser leur rendra le sourire, juste un baiser qui pose sur les lèvres l’identité de l’être, un baiser qui vous rappelle qui vous êtes. Ils se sont trouvés, plus jamais ils ne seront perdus. Et c’est dans le pays à l’alphabet hermétique qu’ils l’ont fait, n’est-ce pas la plus belle démonstration filmique de ces dernières années, la plus belle vision de l’amour qu’on puisse trouver ? Non pas d’une passion, ce qui serait d’ailleurs bien commun mais de l’Amour qui ne se doit pas d’être défini, d’une affection sincère et d’une compréhension mutuelle. Le Japon est ineffable, on ne comprend d’ailleurs pas le langage de ses habitants, le Japon est inoubliable pour Sofia Coppola et inoubliable pour le spectateur qu’elle emmène avec elle. Et finalement, se déploie un hommage au pays dans ces derniers plans urbano-routiers sur quelques notes du groupe "The Jesus and Mary Chain". La jeune cinéaste ne fait pas que compiler des chansons qui appartiennent à son univers musical, elle construit sa bande-originale, bien évidemment très personnelle, tel un écrin qui contient le film. Ainsi, c'est avec cette chanson que l'on promène un regard nostalgique sur les dernières images de Tokyo.






A lire aussi : la future critique du film de Guillaume Gas sur Courte focale.