samedi 12 mars 2011

Black Swan, l'irrémédiable transcendance

Black Swan, quelques pensées au fil du film comme je l'ai fait pour Pulp fiction. (l'équivalent d'une analyse linéaire pour les livres...)

D'excellent articles ont déjà été écrits à propos de lui, je n'ajouterai probablement rien de neuf mais voici tout azimut quelques remarques...


Attention cet article dévoile les intrigues du film.


Avec Black Swan, on vérifie encore la théorie selon laquelle tout est dit depuis le début.

Pas d'introduction, on en sait peu sur Nina on rentre in medias res dans cet univers étrange, oppressant. Il s'agit bien d' un drame intime.

Premières images, on observe la majesté de la danseuse étoile, elle est éclairée par les projecteurs et semble plutôt sereine. On a découvert le premier personnage, j'ai nommé : White Swan.  Il se meut harmonieusement sur la scène mais une ombre s'approche, inquiétante pour le pervertir, le renverser en ange noir. Nous avons fait connaissance avec le deuxième personnage, j'ai nommé : Black Swan. Tout cela après 1:30. Record explosé, c'est un chef d'œuvre* ! CQFD, la critique est terminée. Je vous avais bien dit qu'elle serait rapide.


Ne vous inquiétez pas, cher lecteur, non je ne vais pas vous abandonner maintenant ! On continue donc : à la cinquième minute environ apparaît la figure de l'autre, le double,  le verso. Il est révélé par des jeux de miroir ou par des reflets sur les vitres. Chaque personnage clé est vu au moins une fois à travers cette représentation. Est-elle fiable ? Telle est la question car un miroir, ça déforme, une caméra, ça ment.  On aperçoit également le portrait d'une  danseuse, toujours dans le thème de la représentation de soi et de l'autre.
(extrême cohérence quand on connaît le déroulement du film)

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Nina marche, on la suit en caméra subjective telle une ombre sur ses pas qui cherche à la rattraper.

La dualité de l'être apparaît avant les auditions "laquelle d'entre vous pourra incarner les deux cygnes, le noir et le blanc" ?

Dans la salle de maquillage en volant le rouge à lèvre elle s'imagine déjà dans la peau de l'élue,  les cercles de la perfection l'attirent déjà,  elle les touche et n'en a jamais été si proche. Alors quand sa prestation n'est pas appréciée ("Attaque, attaque, attaque !") parce qu'elle n'est pas suffisamment dans la séduction, dans la passion pour faire un black swan, elle se sent perdue.  Le monde tournoie autour d'elle, elle n'a plus aucun repère et l'autre, plus précisément l'agresseur s'introduit dans la salle , il s'agit de Lily qui a les faveurs du maître suprême, du professeur  à l'aura percutante. Nina perd l'équilibre.

Cette quête de la perfection peut vous détruire, elle vous emprisonne et vous coupe du monde extérieur, vous n'appartenez plus qu'à votre quête. Après l'audition, mal à l'aise elle se retrouve seule aux toilettes et rentre chez elle, avec toujours cette caméra subjective qui la suit, qui pèse sur elle comme l'ombre du fatum malfaisant. Brièvement elle voit son propre visage à la place de celui d'une passante. Elle se perd elle-même, son âme se dédouble dans les profondeurs de la ville. (le trajet, le chemin du retour symbolise de façon courante le voyage de la vie, ici il se fait en métro, ce n'est pas anodin)

Le passé de Nina c'est le white swan avec  sa chambre d'enfant, sa boîte à musique. Pour s'en départir elle met du rouge à lèvre mais il ne suffit pas de maquillage pour se transformer en sombre animal. Cette mutation est possible car on a tous une part d'ombre en nous, ces profondeurs peuvent être fascinantes mais Nina n'a pas idée de ce qu'elle peut perdre en s'y engageant, toutefois elle le pressent et le craint sans pouvoir dévier son trajet.

"perfection","transcendance" Ces mots martèlent notre esprit, cette quête obsède Nina.

La passion amoureuse ou ici la tension sexuelle peuvent faire surgir cette force intérieure que Nina a en elle "You bite me" dit Thomas, surpris.

"Cette force maléfique te contrôle sans que tu puisses y échapper. " indique une chorégraphe. Elle devra se métamorphoser pour le rôle,  cet art qui se veut si passionné marquera son existence, sa chair.  On le découvre avec sa mystérieuse blessure dans le dos. (le miroir, les tableaux, la blessure...ça me fait beaucoup penser à l'histoire de Dorian Gray)

La mère omniprésente (La relation est assez malsaine entre les deux personnages) semble veiller sur sa fille comme un ange gardien, la figure maternelle ramène à l'enfance, elle veut garder son white swan et redoute l'apparition pourtant inévitable du black swan.

A l'hôpital, la première vision de la blessée se fait par son reflet sur la porte. Ce thème est décidément omniprésent, à croire que le film est un vaste kaléidoscope où se reflètent les âmes dédoublées des danseurs. Or l'art c'est du reflet, de la représentation du réel plus ou moins fidèle, on peut se demander si l'image peut incarner l'essence. En l'occurrence la réalisation n'est pas réaliste et transparente, elle déforme les plans elle pèse sur les personnages, oppresse le spectateur. Cette forme d'art, quasi surréaliste prend la forme d'une âme torturée.

La déformation du corps, cette chair marquée profondément bouleverse Nina parce qu'elle y voit son propre avenir. Sa peau est elle-même marquée. Et pourtant c'est inéluctable, elle a son destin en face d'elle.

On trouve de façon croissante un mélange de peur et d'attraction. Comme le montre la répétition de la formule "Let it go" elle devra dépasser cette peur pour devenir le Black Swann.

Dans le bar Nina dit à propos de l'histoire "That's not happy. That's beautiful actually." C'est l'histoire du Lac des Cygnes, c'est l'histoire de Nina, c'est l'histoire du film.

 Elle vomit pour rejeter ce qu'elle trouve monstrueux en elle. Quand Lily est surprise des effets de l'ecstasy Nina se sent étrangère au monde,  seule. Ensuite dans sa chambre, elle met la boîte à musique pour se rappeler qui elle était avant le rôle de Blak Swann. Elle espère sans trop y croire qu'ainsi tout redeviendra normal mais en vain, elle jette alors toutes ses peluches. Cette jeune femme qui n'était jamais vraiment devenue adulte décide de tuer cette partie d'elle, celle de l'enfance. On peut rapprocher ce thème de celui de l'adolescence qui constitue d'une certaine façon le meurtre d'une partie de soi, l'acceptation de son corps et de ses pulsions.

Nina apparaît ensuite plus déterminée, plus sûre d'elle.

Enfin, vient l'apogée du Lac des cygnes, l'air magistral de Tchaïkovski.  Cet air m'avait déjà envoutée avec Billy Elliott, c'est grandiose.

Le passage du saut : c'est l'irrémédiable (cf un poème de Baudelaire qui semble bien convenir au film*) , elle ne peut plus revenir en arrière, elle se sent effrayée, mais elle fait son choix et saute.

La folie se précise après cet instant fatidique, elle se regarde dans le miroir et voit son double faire d'autres mouvements qu'elle, elle se gratte le dos.

Elle rend ce qu'elle a volé parce qu'elle comprend l'enfer que cette vie peut représenter mais ce qui est perdu ne reviendra jamais vraiment.

Après 80 minutes le film se comporte comme un thriller sauf qu'ici l'ennemi c'est Nina elle-même, cette terrible menace qu'elle fuit est avant tout psychologique.

La folie prend deux aspects, d'une part Nina ne fait plus la différence entre la réalité et ses hallucinations, ce que le spectateur peine aussi à faire, de l'autre elle ne fait plus la distinction entre le Moi et l'Autre.

Et ce mal qui la ronge lui permettra d'atteindre la perfection pour cela elle sacrifiera sa vie ce qui semble en être l'inévitable prix. Contrairement à la danseuse en retraite, pitoyable, les derniers pas de Nina seront ceux de la perfection.

Quand elle croît se battre contre Lily, elle se bat en réalité contre elle-même, cela suggère que le plus beau des actes est en fait issu d'un combat intérieur. Cette guerre cruelle produira du Beau, du Beau qui dépassera les notions de Bien et de Mal.

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Il n'y a que la souffrance face à la mort qui permettra à Nina la transcendance. Thomas avait employé le terme au début du film or la transcendance c'est bien aller au delà de la vie. (en latin
transcendere signifie franchir, surpasser)


* "L'irrémédiable" de Charles BAUDELAIRE
(extrait des Fleurs du Mal)



Une Idée, une Forme, un Etre

Parti de l'azur et tombé

Dans un Styx bourbeux et plombé

Où nul oeil du Ciel ne pénètre;



Un Ange, imprudent voyageur

Qu'a tenté l'amour du difforme,

Au fond d'un cauchemar énorme

Se débattant comme un nageur,



Et luttant, angoisses funèbres!

Contre un gigantesque remous

Qui va chantant comme les fous

Et pirouettant dans les ténèbres;



Un malheureux ensorcelé

Dans ses tâtonnements futiles,

Pour fuir d'un lieu plein de reptiles,

Cherchant la lumière et la clé;



Un damné descendant sans lampe,

Au bord d'un gouffre dont l'odeur

Trahit l'humide profondeur

D'éternels escaliers sans rampe,



Où veillent des monstres visqueux

Dont les larges yeux de phosphore

Font une nuit plus noire encore

Et ne rendent visibles qu'eux;



Un navire pris dans le pôle

Comme en un piège de cristal,

Cherchant par quel détroit fatal

Il est tombé dans cette geôle;



- Emblèmes nets, tableau parfait

D'une fortune irrémédiable,

Qui donne à penser que le Diable

Fait toujours bien tout ce qu'il fait!



Tête-à-tête sombre et limpide

Qu'un coeur devenu son miroir!

Puits de Vérité, clair et noir,

Où tremble une étoile livide,



Un phare ironique, infernal

Flambeau des grâces sataniques,

Soulagement et gloire uniques,

- La conscience dans le Mal !


* Si ce film est intéressant, je ne pense pas toutefois qu'il comptera parmi mes préférés. Pour en être sûr il suffit d'attendre quelques mois et de constater ce qu'il en reste dans mon esprit !

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