samedi 15 janvier 2011

L'étranger en moi, sensibilité et intelligence du cinéma allemand.

"L'étranger en moi" (titre original : Das Fremde in mir, d'Emily Atef) a été diffusé hier soir sur Arte, et je ne saurais vraiment pas mieux le résumer qu'eux alors je vais utiliser un très rare et honteux procédé : le copié/collé !

Le résumé d'Arte :

"Rebecca et Julian attendent leur premier enfant et se réjouissent à l’idée d’accueillir ce bébé. Mais les sentiments de la jeune femme changent du tout au tout après la naissance de Lukas. Paniquée et impuissante, elle s’aperçoit qu’elle ne ressent rien pour lui. Personne autour d’elle ne semble s’en rendre compte. Elle n’ose pas en parler par honte de ne pas être une mère exemplaire. Que lui arrive-t-il ? Pourquoi considère-t-elle son propre fils comme un étranger ? Ce mal-être indicible la ronge petit à petit, sans qu’elle parvienne à trouver une solution. Dans un moment d’égarement, elle oublie son petit à un arrêt de tramway. Ses proches prennent alors conscience de son état, mais ils ne le tolèrent pas. Convaincue qu’elle représente un danger pour Lukas, Rebecca suit alors une thérapie pour créer ce lien mère-enfant qui lui fait défaut. Une rééducation lente et complexe, rendue difficile par les doutes et l’incompréhension de son entourage… 
Un film émouvant sur un sujet encore tabou, celui de la dépression postnatale."


 
Le film laisse parfaitement transparaître les sentiments de Rebecca ou plus exactement son absence d'émotions. La musique est presque inexistante, on observe le monde d'un regard froid et les émotions réapparaissent seulement à la dernière minute. Ce film fait preuve d'une grande cohérence et d'une qualité cinématographique mais il se révèle également utile puisqu'il nous en apprend beaucoup à propos d'une maladie peu connue, souvent ignorée : la dépression post-natale.
http://www.cinemas-utopia.org/admin/films_img/img32/3108.jpeg
La jeune femme est rejetée par son mari, sa belle-soeur et son beau-père car elle est incomprise et on l'estime dangereuse pour son enfant Lukas. Effectivement la réaction de la plupart des gens devant un bébé est la tendresse, "oh comme il sent bon, comme il est petit mignon...", son entourage immédiat la voit comme un monstre. Et enfermée dans son mutisme c'est précisément ce qu'elle ressent et c'est pourquoi elle fait une tentative de suicide.
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Rebecca rejette son mari, elle ne veut pas le voir et on constate que la distance se creuse entre eux. C'est seulement à la fin que l'on constatera que l'amour n'avait jamais disparu mais que chacun se sentait coupable. Ainsi Julian pense que Rebecca le rend responsable de ce qui est arrivé, il regrette de n'avoir pas réalisé que sa femme allait si mal. Rebecca quant à elle croît qu'il la hait pour avoir mis en danger leur fils. Ainsi cette cicatrice qui les sépare ne se verra refermée qu'à la toute fin du film. Entre temps la jeune femme se reconstruit auprès de sa mère, c'est elle qu'elle demande après sa tentative de suicide. Cela paraît étrange que le rejet de sa propre maternité la dirige vers sa mère mais illustre un retour aux sources, à ce qui était avant que l'enfant ne naisse. Il s'agit ici de refuser tout ce qui nous est étranger, toute l'altérité. Et Julian rentre dans la société en venant au monde, il se différencie d'elle en naissant et devient un objet d'altérité. Il l'effraie et elle ne ressent rien pour lui, pas d'affection particulière, seulement une grande fatigue. On sait désormais que cette instabilité émotionnelle est due à des problèmes hormonaux, un déséquilibre post-natal mais peu de personnes l'admettent et le comprennent. La soeur de Julian, un personnage relativement antipathique voudrait dont oublier Rebecca et devenir une mère de substitution au bébé. C'est pourquoi lors des visites elle prend bien soin de câliner le bébé, par des gestes tendres elle s'affiche en figure maternelle et montre à Rebecca qu'elle ne peut assumer ce statut, elle affiche donc toutes leur différences. Il s'agit bien là de faire culpabiliser la mère, un point de vue que seul le psychologue peut effacer. Pour protéger son enfant elle a préféré tenter de se suicider donc elle n'est pas un monstre. Les séances de thérapie avec une psychomotricienne font penser à une renaissance. Les liens avec le bébé, un corps étranger ne sont pas apparus dès l'accouchement, ils font donc construite une relation peu à peu. La bande sonore, légère laisse entendre quelques sons, des oiseaux, le souffle de l'air. Dans un univers serein, sans aucun stress ou figure culpabilisatrice, Rebecca peut alors mettre au monde une deuxième fois son enfant. Celui-ci très nerveux ne pourra grandir que si sa mère va
mieux. Ce film nous montre donc que le sens maternel n'est pas toujours inné même si l'enfant a toujours un lien fort avec ses parents. Il faut savoir construire une relation, il n'existe pas de parcours type contrairement à ce que la société moralisatrice pourrait faire croire.
http://ais.badische-zeitung.de/piece/00/63/be/78/6536824.jpg
On note également au passage l'opposition des deux cliniques : la première très médicalisée, plutôt lugubre et la seconde plus apaisante choisie par la mère de Rebecca. Le bienfait d'un soutien psychologique et d'une atmosphère apaisante sont mises en avant. On comprend quand la jeune femme ferme les yeux au soleil que ce cadre lui convient, sa mère très perspicace le saisit aussi et sourit. Il fallait enfin pour que Rebecca se contruise qu'elle soit éloignée de la famille de Julian, ainsi elle pouvait retrouver confiance en elle sans subir le regard accusateur des autres. (celui-ci subtilement dispersé dans le film, notamment lorsqu'elle oublie la poussette, un passage humiliant où elle doit prouver sa maternité ou bien lorsqu'elle est la proie de commentaires désobligeants quant à l'atelier qu'elle va louer, devenu sale et désordonné)
Sa confiance en elle, Rebecca la retrouve en se promenant seule avec Lukas mais la confiance de Julian sera reconquise plus tard, quand chacun sera sorti de son mutisme. Lors des dernières minutes on les retrouve enfin en tant qu'époux et non plus dans leurs rôles parentaux. Chacun a retrouvé son identité et peut, au prix d'un travail personnel et de lourdes remises en question envisager un avenir familial. Par le symbole d'une étreinte, le film s'achève sur une belle note d'espoir. Ce cinéma allemand, très psychologique me plaît bien, il a trouvé son identité au cœur de villes écologiques et calmes, il a choisi des thèmes délicats peu abordés, des acteurs excellents. Bref ce cinéma, c'est avant tout un regard intelligent sur le monde, teinté de tolérance, de simplicité et de sensibilité.

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