lundi 24 janvier 2011

Never let me go ou l'art de la poésie automnale

Attention : cette critique peut contenir quelques spoilers.
Tout a commencé lorsque je suis allée voir Au delà, la bande-annonce a été diffusée et je me suis sentie attirée par ce film, son ambiance. Alors, encline à plonger dans l'univers de Never let me go, je me suis empressée de le regarder. Il ne peut répondre à aucune attente, comme s'il venait d'un monde parallèle, anti-occidental, hérité des philospohes stoïcistes mais n'en doutez pas, ce film est une merveille...

Les dernières paroles de Kathy font penser que nous sommes comme ces enfants, comme ces clones et que nos vies ne sont pas si différentes des leurs. "Peut-être que personne ne comprend réellement ce qu'il a vécu et que personne n'a le sentiment d'avoir eu assez de temps."
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Les acteurs, les trois sont talentueux, les plus jeunes c'est-à-dire ceux qui interprètent les enfants ont de l'avenir je pense. La ressemblance entre les deux Cathy est marquante, le passage de l'une à l'autre à la sortie de l'internat est d'une fluidité rarement vue. Changer d'acteurs, voir le temps qui passe est d'habitude plus violent, plus abrupte. On arrache le spectateur de l'univers avec lequel il s'était familiarisé pour un autre. Mais ce n'est pas le cas ici, ce qui donne un grand bénéfice à la valeur donnée au temps dans Never let me go. On reconnaît parfaitement les personnages, on peut donc féliciter la mise en scène qui fait glisser les images dans notre esprit. La structure du film est d'ailleurs d'une cohérence remarquable, tout est symétrique car les premières images (des amas de couleurs) sont aussi les dernières, de plus on commence par la fin. Kathy, la narratrice se plonge dans ses souvenirs...La crise de Tommy au début du film se reflète dans la dernière. Les couleurs, les paysages, les bâtiments anglais, chaque détail crée une ambiance mélancolique, profondément triste et poétique. Faire résonner l'enfance à la vie adulte, et clore le film par la chorale dans l'école nous rappelle que tout est toujours lié au commencement, ce qu'on oublie souvent. Dix ans ont passé mais les trois amis ne se sont jamais oubliés. Tommy dit d'ailleurs que le temps n'a pas passé et si l'on se souvient de ce qui importait le plus pour nous à une certaines époque, de ce que nous étions autrefois alors effectivement le temps n'a pas passé.
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J'admire d'ailleurs ces deux personnages, il possèdent un fatalisme étonnant. Ils font ce qu'ils doivent faire sans se poser de questions, puisqu'ils ne peuvent changer le cours des choses ils doivent les accepter. Cathy est d'un si grand calme et d'une compréhension des autres qu'elle se sent fière à l'idée de donner. Elle n'aura pas de discours sur son statut ou son identité, elle fera ce qui lui semble juste même si ça lui coûte la vie. Elle rejettera les faux espoirs, s'interdira de s'imaginer plus heureuse, elle ne songera jamais à la façon dont les choses auraient pu être. Elle a atteint un degré d'abnégation digne des philosophes stoïcistes qui acceptaient la douleur ou tous les évènements sur lesquels ils ne pouvaient influer. Selon eux, il faut savoir changer ses désirs si on les sait irréalisables afin de ne pas souffrir. Mais Cathy n'oubliera jamais le passé car dans ce film tout a rapport à l'enfance. Je crois que la vie est ainsi, les premiers instants restent gravés à jamais, les premières rencontres. Le petit cheval de Ruth le rappelle, l'homme met ces vérités de côté pour vivre en société mais confronté à la mort imminente comme le sera Ruth il doit les assumer. Ce que nous étions autrefois ne disparaît pas et nous restons les petits enfants que nous étions. On le voit avec Tommy, lui qui semblait s'être épanoui, lui qui avait supporté les opérations,  le petit garçon qu'il était au début est toujours en lui à la fin du film. 
Les paysages, la musique, les regards nous laisse apercevoir une vision poétique du monde, un autre monde qui n'est finalement pas si différent du notre. Never let me go traite de l'intériorité de l'être, de notre rapport à la vie et à la mort. La société est presque absente du film, on l'entrevoit quelques secondes au fast-food, quelques autres devant l'agence de voyage mais tout le reste s'épanouit dans la nature.
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Au début du film, on se situe dans l'enfance mais on n'en profite pas réellement car on attend la suite, on attend le moment où les personnages sortiront de leur espace confiné, de leur cocon. L'enfance est donc assimilée au pensionnat, voire à une prison de laquelle on voudrait sortir.  Mais il ne se passe rien ensuite, "le temps n'a pas passé". On passe notre enfance à attendre l'âge adulte mais on découvre rapidement qu'il ne possède rien de si attrayant. Cette vie et les responsabilités qui en découlent nous mènent à penser aux origines , alors la nostalgie s'empare de notre esprit.  On
reconsidère notre quotidien vis-à-vis du commencement. Ce qui compte c'est notre façon de réagir lors des premières années, notre interaction avec les autres, les premiers amours. Rien de ce que l'on peut faire ensuite, une vie mouvementée avec de nombreuses occupations, des nouvelles rencontres ne peuvent changer cela. Kathy dit "Si j'avais su, je ne les aurais pas laisser partir" "Je n'aurais pas imaginé que nous si liés pouvions nous désunir à une telle vitesse."  J'avoue que ses propos m'ont marquée, en fait le changement m'a toujours choquée. Il était pour moi contre-nature, une sorte d'infidélité au passé, un abandon de ce qui avait été.
Il flotte sur ce film une tristesse élégiaque, une mélancolie bucolique qui plonge votre âme dans une douce méditation. Le regard de Kathy est toujours triste, il a quelque chose de douloureusement profond elle semble avoir compris ce qu'était la vie et elle possède une sorte de noblesse. Contrairement à elle, nous nous posons trop de questions, nous nous comparons aux autres alors que ça n'importe pas. Sentir le vent, le soleil, regarder la mer, être en accord avec soi-même et faire ce qui nous semble juste, ce sont les seules choses qui devraient nous animer, d'après ce film. Kathy ne se préoccupe pas de l'opinion des autres quand elle se rapproche de Tommy, rejeté par les autres enfants. Elle n'hésite pas à s'asseoir près de lui en dépit de son statut marginal ou des moqueries dont il est la cible. Sa sagesse, sa philosophie la rendent imperméables à ces mesquineries futiles. Elle possède un regard désintéressé, une vision poétique du monde. On sait d'ailleurs grâce à la galerie, qu'elle a un talent d'artiste.
On peut ainsi considérer le film comme une œuvre d'art qui réfléchit sur l'art. Un soin tout particulier a été apporté à l'esthétique de l'image, à la qualité de la photographie. Le soleil n'est jamais agressif ou éblouissant, ses rayons nous parviennent adoucis par les nuages. La plage, le souffle de l'air dans la prairie sont apaisants, cela rappelle probablement l'enfance et l'internat.
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Quel autre instrument que le violon aurait pu être choisi pour incarner la voix de l'âme ? De ce film émane une certaine tiédeur alors évidemment on ne monte jamais dans les aigus, on s'unit aux violoncelles aux instants les plus tragiques tandis que le thème principal est mené par un solo au violon. Les airs de la BO ne sont pas trop complexes, des notes simples aux plus pénétrantes elle accompagne discrètement l'image, touchante quand il le faut. La bande-son est essentielle, Never let me go est la chanson que Tommy a offerte à Cathy.
Si vous aimez l'action, les éclats, le tumulte de la société et que vous détestez la modération il est inutile de regarder ce film. C'est loin d'être de la science-fiction, c'est davantage un moyen de réfléchir à notre humanité, à notre existence, ce qu'elle devrait toujours permettre. On pourrait s'intéresser aux détails pratiques de l'histoire, mais je ne crois pas que ce soit son but. Je me suis bien sûr demandée comment on pouvait survivre après avoir donné deux organes vitaux mais je crois que l'aspect symbolique est essentiel. La société extérieure, celle qu'on ne voit pas pompe notre énergie vitale, elle nous absorbe dans son tourbillon. Elle peut nous casser moralement ce qui transparaît physiquement chez Ruth, affaiblie qui  doit utiliser un déambulateur pour marcher. Il s'agit d'un film profondément humain où chaque parole compte, Ruth et Tommy sont des personnages brisés en mal de vivre,  je suis toujours captivée par ces individus blessés. La scène où il demande à Kathy de s'arrêter dans les bois est déchirante, les personnages  expriment peu leurs émotions alors ça la rend encore plus forte.
Pour conclure j'utiliserai une citation, certes trop employée mais qui ne peut-être plus vraie qu'ici : "Les sanglots longs des violons de l'automne blessent mon cœur d'une langueur monotone".
A lire : Vous trouverez une excellente analyse sur cineaddict
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